Organiser un protectionnisme européen raisonnable et instaurer des droits de douane pour faire cesser le dumping social et environnemental !
Depuis quelques mois, le débat sur le protectionnisme, qui était porté de manière relativement confidentielle par quelques libres penseurs, s’est imposé sur la scène économique, porté par un nombre toujours plus grand d’économistes qui en font désormais une condition pour le retour à la croissance dans les pays développés.
LEUR ECHEC
Pourquoi avons-nous besoin du protectionnisme ?
Sur le fond, le raisonnement est finalement assez simple : la libre concurrence entre des pays dont les écarts de salaires vont de 1 à 20 provoque inexorablement une baisse des salaires et du chômage dans les pays où ils sont plus élevés. Les Etats-Unis ont fait le choix de la déflation salariale puisque le salaire d’un ouvrier Américain a baissé de plus de 10% depuis les années 70 et que le salaire minimum est passé de 8 à 5,15 dollars depuis 1966 (en dollar constant) comme le montre Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008 dans son livre « L’Amérique que nous voulons ». L’Europe a choisi le chômage et la stagnation des salaires.
Les théoriciens du libre-échange auront beau rappeler toutes les belles théories écrites il y a des siècles, il ne faut pas oublier qu’à l’époque de Ricardo, les écarts de salaire allaient de 1 à 2 et que le transport était beaucoup plus aléatoire. Ce qui était vrai au 18ème siècle ne l’est pas forcément au 21ème. En outre, la théorie des avantages comparatifs présente de grandes limites, comme le montre le fait que la Chine devient l’usine du monde, sans la moindre distinction de secteurs (en passant des vêtements et des jouets aux ordinateurs). Bien sûr, le libre échange peut être bénéfique mais non régulé, il est aujourd’hui un facteur d’appauvrissement de la population des pays développés du fait de trop grands écarts de conditions salariales, sociales et environnementales.
Maurice Allais, notre seul prix Nobel d’économie a été le pionnier de ce débat, au début des années 90. Il a démontré que le chômage des pays européens en général et de la France en particulier est en grande partie la conséquence du choix d’un libre-échange non régulé. Emmanuel Todd lui a emboîté le pas et aujourd’hui Hakim El Karoui, Jean-Luc Gréau, Jacques Sapir ou Gérard Lafay plaident pour le protectionnisme. Mieux, même s’ils n’ont pas encore franchi le cap du protectionnisme, de nombreux économistes (Patrick Artus, Paul Krugman, prix Nobel d’économie et même Alan Greenspan) reconnaissent que le libre-échange provoque un appauvrissement des pays développés, ainsi que de l’immense majorité des populations des pays émergents, et pousse les salaires à la baisse, notamment dans tous les secteurs de l’économie qui peuvent être délocalisés.
Le protectionnisme existe toujours !
Malgré cette percée idéologique, le débat est encore difficile aujourd’hui et oppose trop souvent les « gentils » partisans du libre-échange et les « méchants » protectionnistes. Les premiers brandissent la crise des années 30 comme une preuve des dangers du protectionnisme alors qu’il n’était qu’une conséquence de la crise et non pas une cause… la crise actuelle, où le commerce mondial s’effondre bien plus encore que l’économie (les exportations du Japon ont baissé de plus de 45% en janvier 2009) sans la moindre mesure protectionniste, montre bien que l’effondrement du commerce peut être la conséquence de la crise.
En outre, tous les pays utilisent des formes de protectionnisme. Même l’Allemagne y a recours, par l’utilisation de normes spécifiques (les fameuses normes DIN) qui protègent leurs industriels de concurrents étrangers qui hésitent à investir pour rendre compatible leur production pour un seul pays... L’instauration d’une TVA sociale il y a deux ans relève de la même logique puisqu’elle a permis de faire davantage contribuer les produits importés au financement du modèle social Allemand. Et les Etats-Unis ont une panoplie d’outils protectionnistes (pics tarifaires, réglementation de l’acier, mécanismes de rétorsion) bien plus développée qu’en Europe. Même l’Europe a maintenu des droits de douane sur les vélos, permettant à 60% du marché européen d’être couvert par une production locale. Mieux, à l’opposé de la légende écrite par certains, le modèle de développement du Japon, de la Corée ou de la Chine associe un solide protectionnisme du marché intérieur avec le bénéfice de l’ouverture des autres. 95% des voitures achetées dans ces trois pays sont ainsi produites localement, le marché intérieur étant protégé de différentes manières. La Chine, par exemple, taxait à environ 100% les voitures importées il y a une dizaine d’années (environ 30% aujourd’hui) pour imposer aux constructeurs occidentaux à construire des usines sur place, leur imposant au passage un partenaire local pour former les futurs constructeurs locaux. Ainsi, ils ont assuré un transfert de technologie qui permet aujourd’hui à leurs constructeurs locaux de voler de leurs propres ailes. Et pour assurer un transfert maximum de la valeur ajoutée, le gouvernement a instauré des droits de douanes très importants sur les pièces détachées pour localiser la majeure partie de la chaîne de valeur. Bref, le protectionnisme est une pratique courante, qui, si elle a reculé dans certains pays, reste fortement présente dans d’autres, qui l’utilisent comme un moyen d’assurer leur croissance, loin de la caricature autarcique que l’on présente habituellement.
L’Europe actuelle, naïvement libre-échangiste
Alors qu’un nombre grandissant d’économistes alertent les dirigeants européens des dangers du libre-échange non régulé, les dirigeants européens continuent à ouvrir les frontières commerciales de l’Europe sans la moindre retenue. C’est dans les années 70 que les gouvernements européens ont confié à la Commission le soin de négocier les accords commerciaux. Le dogmatisme ultralibéral des technocrates ne s’est pas démenti depuis.
Au début des années 90, la Commission a ainsi décidé d’ouvrir le marché européen aux automobiles japonaises, auparavant limitées par des quotas sans jamais négocier la moindre contrepartie avec les autorités japonaises. Résultat, alors que les ventes de voitures japonaises ont doublé en Europe, les ventes de voitures européennes au Japon restent toujours aussi marginales. De même, les constructeurs coréens ont toute liberté pour vendre leur production alors que le marché coréen est encore plus verrouillé que le marché japonais.
Pire, l’élargissement aux pays de l’ancienne Europe de l’Est en 2004 a eu des conséquences dramatiques pour les industries des pays de l’Europe occidentale. En à peine quatre ans, les constructeurs Français ont ainsi diminué leur production nationale de plus d’un million d’unités alors qu’ils ont augmenté leur production hors du territoire national de près d’un million. Une grande partie de ce transfert de production s’est effectué vers les pays d’Europe de l’Est (Slovénie et Roumanie pour Renault, République Tchèque pour PSA) où les salaires peuvent être jusqu’à dix fois plus bas qu’en France (salaire minimum Roumain par rapport au SMIC Français).
LEUR DOUBLE LANGAGE
Quels que soient les partis dominants et leurs alliés, le thème du protectionnisme européen revient en force dans la bouche des candidats de l’UMP, du PS, du MoDem et des Verts. Il s’agit là d’un double langage flagrant de la part de responsables politiques. La palme en revient à Nicolas Sarkozy, qui a multiplié les déclarations martiales avant et après son élection :
« Je veux réintroduire la préférence communautaire (...) Ce n’est pas anormal qu’un continent se protège comme le font les Américains, les Japonais ou les Chinois » M. Sarkozy, qui estime que « l’Europe a été construite pour protéger, pas pour être le cheval de Troie d’une concurrence déloyale », demande également « la réciprocité. +J’ouvre, tu ouvres. Tu n’ouvres pas, je n’ouvre pas+. C’est basique, mais ça ne se discute pas », a-t-il dit. « Il n’y a pas de fatalité à subir la mondialisation. Il doit y avoir réciprocité ». Par ailleurs, « s’agissant de la négociation à l’OMC, qui constitue l’une des compétences les plus importantes de l’Union européenne, je pense qu’il n’est plus possible de la confier à un commissaire européen, quel que soit sa qualité », a-t-il affirmé. Mais ces déclarations volontaristes n’ont pas empêché Nicolas Sarkozy de promouvoir et d’imposer le traité de Lisbonne par la voie parlementaire en février 2008, un traité qui comme la Constitution européenne, achève de faire passer à la majorité qualifiée l’ensemble des vote portant sur des accords commerciaux à l’OMC et renforce le rôle exclusif de la Commission de Bruxelles dans ces négociations.
On doit à la vérité de reconnaître que le parti socialiste, qui a récemment inscrit l’objectif du protectionnisme européen dans son projet pour les élections européennes, n’est pas en reste lui non plus : tout comme l’UMP et le MoDem, mais avec l’hypocrisie en plus, il a massivement voté la ratification parlementaire du traité de Lisbonne.
CE QUE NOUS VOULONS
Construire un protectionnisme européen de croissance
L’établissement d’une forme de protectionnisme est donc essentiel pour permettre la hausse des salaires dans les pays occidentaux, sinon la concurrence avec les pays émergents provoquera chômage et déflation salariale. Ce protectionnisme est aussi le moyen de permettre à ces pays de faire progresser leur niveau de vie, sans quoi toute amélioration des conditions salariales et sociales risquent de pousser les industriels à délocaliser de nouveau. Il ne s’agit donc pas de retourner à l’autarcie. Il n’est en aucun cas nécessaire de remettre en cause le commerce avec des pays comparables au nôtre, ni même d’arrêter le commerce avec les pays émergents. Il s’agit de mettre en place des écluses qui permettront aux conditions de vie de progresser au lieu de se niveler par le bas.
En outre, la relocalisation d’un certain nombre d’activités et la réduction de certains échanges commerciaux aurait un impact écologique très important tant le transport pèse un poids important dans les émissions de CO2.
Il s’agit d’éviter de faire peser une concurrence destructrice pour les salaires et l’emploi. Des solutions existent. Jean-Luc Gréau recommande la création de zones géographiques regroupant des pays de niveau de développement comparable et la mise en place de droits de douane compensateurs qui seraient fonction du niveau des salaires, et des réglementations sociales et environnementales. On pourrait également établir des droits de douanes compensateurs pour les distorsions monétaires.
Beaucoup affirment que de telles politiques sont impossibles, que l’Allemagne, qui profite du commerce, refusera forcément la mise en place d’un protectionnisme européen. Mais le souci de compétitivité allemand a des limites : depuis 10 ans, la croissance moyenne de l’Allemagne est de 0,8% et ce pays souffre de l’appauvrissement des classes moyennes. La sévérité de la crise actuelle (le PIB a reculé de plus de 8% en rythme annuel au 4ème trimestre) peut changer les mentalités.
Les partisans du « laissez passer » oublient l’importance de la demande. La crise actuelle, qui frappe très violemment les économies exportatrices montre les carences d’un système qui déprime la consommation. Cela peut amener les premiers bénéficiaires du libre-échange à s’ouvrir à un protectionnisme de croissance.